Première nuit en mer. Nous avons laissé derrière nous Calais, une ville sans âme, et quitté sans déplaisir le trafic intense des rails de cargos vers l’Angleterre, si proche, dont nous apercevrons la côte en doublant les deux caps du boulonnais : Blanc Nez et Gris Nez. La Côte d’Opale étire son long cordon de plages monotones, qui laissera bientôt place aux belles falaises blanches du Pays de Caux.
Partis avec la marée du soir de Boulogne, avec un vent contraire, nous avions d’abord visé Etaples. D’heures en heures, le vent adonne, devient favorable, nous avançons maintenant au bon plein. J’adapte les voiles, mets le cap sur la baie de Somme avant de replonger dans les éternels calculs de marée, qui m’absorberont toute la nuit.
Car depuis peu, naviguer est devenu un véritable casse-tête, bien loin de nos navigations méditerranéennes… Je respecterai dorénavant les pilots charts et les statistiques : en avril, cap sur le Danemark mais certainement pas sur Brest !
Chaque nouvelle étape est précédée par de longues heures de travail sur les courants de marée, que nous devons utiliser pour contrer cet implacable vent de sud-ouest qui ne nous lâchera pas un seul jour jusqu’à Brest. Quelque part entre St Valéry et Fécamp, nous toucherons du doigt le sens originel de l’expression « contre vents et marées » : il faut avoir été sur un petit bateau qui recule pour comprendre !
Quand les deux forces s’opposent, il y a toujours un moment pour avancer dans la direction souhaitée, en profitant du moment où l’un prend l’ascendant sur l’autre. Mais quand les deux se liguent contre nous, y a qu’une chose à faire : demi-tour ! Parti de Cherbourg vent dans le nez, Pandorak franchit le Raz Blanchard comme sur un tapis roulant et casse tous ses records de vitesse : 10,1 nœuds contre le vent !
Puis vient Guernesey, l’île de Victor Hugo, des Fish&Chips et des douches chaudes à volonté. Le printemps se décide enfin à percer, nous passerons une semaine sur cette île où la France semble bien loin.
Après huit heures de mer depuis le port de St Peter, Pandorak touche la Bretagne Nord et file s’abriter dans la rivière du Trieux. Brusquement, des rives boisées, les odeurs qui reviennent, une eau enfin lisse, des bruits de forêt, d’oiseaux : la vie, quoi ! Je me demande parfois ce que je recherche en mer quand le fleuve a tant à offrir… d’autres fleuves, plus loin ?
La splendeur de la Bretagne, son hospitalité, se dévoile dans un petit port goémonier à l’entrée du Chenal du Four : l’Aber Ildut.
Arrivés un dimanche après-midi, nous déclarons par deux fois notre volonté d’acheter du pain : les boulangeries étant fermées, celui-ci nous sera spontanément offert, deux fois, par les habitants.
Le passage du chenal du Four, ciel bleu et voiles en ciseaux, marquera notre première navigation au portant depuis la Hollande, sous le soleil ! Un dernier empannage et nous pénétrons en rade de Brest : fin du Finistère ! Si notre navigation côtière touche à sa fin, ma carte intime de la France s’est étoffée des couleurs de son littéral nord, normand et breton.
La longue et lente descente depuis Amsterdam, contre les vents, est derrière nous ; j’ai la conviction que cette navigation laborieuse, studieuse même, sera indispensable pour la suite, qu’elle nous a obligé à intégrer les subtilités des phénomènes de marées, de courants, et a appréhender la voile sur un petit bateau. Ce fut également une navigation où le bricolage fut quotidien : 2 sorties de l’eau, dépose des safrans, installation VHF, feux de mat, AIS, pilote auto, sondeur, etc, etc… Bon, Pandorak n’a encore ni ancre ni compas, mais j’y pense !
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