Mercredi 27 juillet
La Demi-Lune, le vaisseau d’Henry Hudson, nous salue
6 h. Ruud dort encore, je largue les amarres et hisse la grand-voile à la sortie du port de Hoorn.
Départ intense. Très. Trop… Les doutes m’assaillent dès le premier bord tiré. Est-ce le bon bateau ? Et moi, suis-je encore à ma place ? Toute l’énergie démente des derniers mois… pour se faire branler aujourd’hui au près, à la sortie du port. Et je devrais aimer ça ?
Pando longe la côte nord en direction de l’écluse d’Enkhuizen, cette côte le long de laquelle je cours régulièrement… plus vite que nous n’avancons aujourd’hui.
Prendre la mer, c’est s’imposer un chemin de croix masochiste de lenteur et d’énergie dépensée en vain. Pour quelques bruissements d’étrave, couchés de lune et la saveur particulière de la bière à l’atterrissage, lèvres salées.
Par moment tout s’éclaire, le ciel, la mer… et la tension redescend. L’espoir de réussir à pénétrer dans le voyage me prend alors. Puis un coup de gite plus violent me renvoie à mes doutes, comme un boxeur dans ses cordes.
Toutes ces interrogations nouvelles portent pourtant un nom simple : peur.
Jeudi 29 juillet
Kornwerderzand. Dernière écluse avant la mer.
A la sortie, parfum oublié du sel qui explose brusquement dans l’air.
Hier, à Makkum, abrité sous un porche à cause de la pluie, un vieil homme au regard malicieux, voyageant avec sa femme dans un minuscule bateau de 4,50 m nous confiait : « Si tu ne peux plus toucher la mer en baissant ta main, depuis le pont, ce n’est plus de la voile… » Bien que géographiquement limitée, leur navigation est systématiquement aventureuse, sans les tracas de maintenance propre à un grand bateau. « Plus le bateau est petit, plus la mer est grande ! »
Haute saison à Terschelling… amarrage « à couple d’un couple à couple »
Mariska nous rejoint le soir sur Pando
Vendredi 30 juillet
Départ de l’île frisonne de Terschelling, avec le jusant, à 5h du matin. Cap sur… le Danemark. Nuages sombres dans l’est, puis la pluie qui s’abat. Une heure plus tard, la VHF crache un gale warning pour la journée. J’hésite à faire demi-tour… mais le SW annoncé soufflera pour nous dans la bonne direction… choix cornélien. Je n’arrive pas à me décider. Quand le soleil perce entre deux masses grises, mon corps se relâche immédiatement. C’est la dictature des sensations. OK, on essaye. Je bois les derniers rayons du soleil avant qu’un nuage ne l’engloutisse.
8h. Toujours pas une voile sur l’horizon. La dernière bouée du Stortemelk, le chenal entre les îles de Vlieland et de Terschelling, est derrière nous. La houle de la Mer du Nord surgit enfin, libre, ample, majestueuse.
Foc tangonné, le premier rail de cargo est coupé à angle droit… sans cargo en vue. On reprend notre cap, entre plateformes pétrolières et parcs éoliens offshore.
Vent arrière parfait. Pando est sous GV seule, débordée à fond. Je pourrais tangonner le foc sur l’autre côté, mais je suis fatigué et on n’avance pas trop mal, à 5 nœuds avec un ris. Les vagues à l’arrière grossissent, mais ne déferlent pas.
Pandorak II se révèle très rouleur au vent arrière, mais ses mouvements sont d’une étonnante douceur.
Parfois, un éclair me traverse et le nuage de questions se dissipe enfin. Malgré le roulis, le bateau avance bien. Si Pando I était un jeune poulain nerveux, Pando II tient plutôt de la jument de trait. Une brave bête, qui avale les miles sans broncher. Parfois, une petite déferlante vient fesser son cul, qui n’en finit pas de rouler.
Ruud s’est réveillé et se lance dans une soupe carottes/oignons/curcuma. Délicieuse, mais la moitié passe à la baille dans un coup de houle.
À 10 miles des côtes, un ballon à hélium d’un lointain mariage flotte à la dérive.
16h30. Je me suis assoupi dans le cockpit, VHF en main. C’est mon premier jour de mer depuis 6 ans et je sens soudain le miracle d’être à nouveau en route. Après le stress du départ et l’avis de coup de vent, la mer semble accepter de nous laisser passer. Nous filons, toutes voiles dehors, à 5 nœuds, au grand largue. Joie qui monte de sentir mes choix validés, mes efforts récompensés. Je prends la météo marine de 20h03 sur Inter. La nuit tombe.
4h40. Le noir repasse au bleu nuit. C’est déjà fini.
La mer, cette enfilade incessante de peurs et de moments de grâce.
6h00. Le vent a tourné au nord et s’est levé d’un coup. J’étais assis à la proue et contemplais bêtement la barre de nuages sombres qui s’avançait, la tête vide. En 20 secondes, le bateau passe de 5 à 8 nœuds, toutes voiles dehors. Je saute au pied de mat et prends 2 ris d’un coup avant de mettre 4 tours dans le foc.
Changement de cap. Impossible d’atteindre le Danemark, trop au nord. Il faut viser un poil plus au sud, à la frontière allemande. J’étrenne la bosse du 3ème ris, achetée avant-hier, au cas où… A la différence de Pando I, aucune bosse ni drisse ne revient au cockpit. Il faut aller en pied de mât jouer les équilibristes et wincher sur la bôme. J’en profite pour tester la cape, avec un petit bout de foc. Impeccable, les mouvements sont doux. Rassurant.
Nous filons maintenant à 6 nœuds avec 3 ris, cap au 66. Les gardes-côte allemands ont parlé de force 7, mais ça semble exagéré.
Pour son baptême de mer, Ruud s’en sort très bien
L’Homme rencontre la Mer (Man meets the sea), Esbjerg, Danemark
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