Expression relative à la traversée de la Géorgie, récurrente dans la bouche des navigateurs américains… et franco-hollandais.
Nous sommes prévenus : la Georgie est la portion la plus difficile de l’ICW en terme de navigation, à cause des courants de marée et surtout… du manque d’eau (shallows).
Mais la côte géorgienne, c’est aussi une nature belle à couper le souffle, quelque part entre la Hollande et l’Amazonie… parfois, il ne manque que la silhouette d’un clocher et les bras d’un moulin posés sur l’horizon pour que nous retrouvions la sensation de naviguer au cœur d’un polder. D’autre fois, le bruissement d’une vie animale invisible, tapie derrière un mur végétal, nous ramène à des latitudes plus tropicales.
Après 2 mois passés en Floride, nous franchissons enfin Cumberland Sound, la frontière fluviale de la Géorgie. Nous nous heurtons immédiatement à un courant de marée de 3 nœuds. Ici, impossible de planifier quoi que ce soit avec la marée : nous franchissons chaque jour un tel nombre de rivières aux sens d’écoulement contraires, qu’il faut accepter notre nouvelle vitesse. Parfois, heureusement, le courant nous est favorable (chose étrangement assez rare…)
Nous avançons sous génois seul au sud de Jekyll Island, et Pando fonce à 8 nœuds, propulsé par le flot. Le sondeur n’a pas le temps de dire ouf que Pando tape violemment et pile net. Moins d’un mètre d’eau en plein milieu d’un chenal que les cartes de 2009 sondent à 12 pieds (4m)! Il faut dire que tous les relevés des chartbooks US datent des années 80… il en faut moins à une rivière pour se transformer !
Même avec notre swing keel (dérive relevable) qui fait fantasmer les plaisanciers américains (tous quillards) et qui nous évite 95 % des échouages, nous labourons régulièrement les fonds. Parfois, le labyrinthe de vase ou de sable semble se refermer derrière nous. Sans sonar, nous avançons alors à l’aveuglette, point mort, marche arrière, point mort, marche avant, la gite s’accentue, Pando pivote sur sa semelle de quille, on se replante, on insiste et on finit par retrouver assez d’eau. Moments assez stressants (seul Noah reste zen, sanglé dans son siège auto)… mais qui ont l’avantage de me réconcilier définitivement avec l’acier ! Un matériau d’un autre âge pour les plaisanciers américains, qui préfèrent taper avec des coques en polyester…
Soyons clair : je déconseille fortement aux voileux d’entreprendre pareil périple avec un tirant d’eau supérieur à 1,20m. Et encore ! Combien de fois sommes nous passés avec 1,10m voire 1 mètre…
Nuits géorgiennes…Nous sommes dans la jungle géorgienne. Pas de réseau téléphonique ni de port. La nuit tombe, nous cherchons un mouillage. Le stress du « labourage » de la journée nous a épuisé. Vite, aller se pieuter. La carte nous indique un petit bras de rivière encombré de bateaux de pêches. Parait bien étroit tout ça… sans parler du courant…
Fatigués, on jette l’ancre.
Première erreur : suivre les indications de mouillage des cartes, dont le seul but est de vous éloigner le plus possible du chenal principal (par la suite, nous n’hésiterons plus à planter l’ancre en plein milieu du chenal).
Nous grignotons rapidement et couchons Noah (depuis la Floride, nous ne cuisinons plus : la gazinière surchauffe le carré –déjà tropical-, raison pour laquelle tous les voiliers américains arborent systématiquement un barbecue sur le balcon arrière…).
Il est 21h00, le mercure déborde. Voilà le 3ème ventilateur 12V made in China qui nous lâche. J’extrais le groupe électrogène 110V du coffre (40 kilos) et en avant la tondeuse… pour faire marcher la clim. Autant vouloir dormir l’oreille collée contre un marteau pneumatique. Au programme de la soirée géorgienne, donc : boîte de nuit ou sauna (on ferme tout à cause des moustiques) : on choisit « boîte de nuit », soirée hard métal. Le genre de moment où « l’Appel du Canada » se fait violent…
Flottant sur sa couchette dans une marre de sueur, Ellen enlève son tuba et me souffle : « tu as vérifié la profondeur ? » Je saute sur les tables de marées. Le con ! 2,75 m de marnage…dans 2 heures on touchera le fond. On bouge !
Je sors sur le pont. Nuit noire. Je ne vois ni les rives, pourtant proches, ni les bateaux de pêche. Je démarre le moteur et remonte lentement la chaîne, en essayant de ne pas réveiller Noah, qui dort juste sous mes pieds. Ca bloque. Je m’arrache les mains. Les moustiques en profitent pour déguster mes orteils. J’aide un peu au moteur : l’ancre vient enfin mais le courant nous happe et Pando est déjà dans les arbres!! Les piles faiblissantes de ma frontale éclairent alors la proue d’un bateau de pêche contre la coque. Re-marche arrière, retour dans les arbres. Au bout d’une demi-heure d’évolution en crabe, le sondeur m’indique une zone plus profonde. Je jette l’ancre. Je retourne à ma couchette : dormir !!!
Une heure plus tard, je sens qu’on dérape. Je ressors… remonte l’ancre et refais la manœuvre, avec plus de chaine. Je place une deuxième ancre sur le travers, pour la renverse de marée. Retour à la couchette. Toujours en nage et les orteils bouffés par les moustiques. C’est à ce moment que le vrombissement du groupe électro s’arrête. Silence mortel qui signifie : plus de clim ! Petit moment de panique : c’est comme si le thermomètre reprenait un degré par seconde. Je ressors… L’appareil surchauffe : il vibre tellement sur ses 4 pieds, qu’il s’est littéralement déplacé sur le banc du cockpit et est allé se coller amoureusement contre la tôle de l’hiloire, d’où : surchauffe. Je ficèle l’animal avec une corde, en profite pour faire le plein, sans oublier de faire déborder le réservoir, nettoyer le pont pendant une demi-heure avant de redescendre me « coucher » : l’aube pointe déjà…
Un petit ponton de bois au milieu de sweet grass : nous sommes à Kilkenny Creek, dans un cadre idyllique. Un vieux propriétaire hospitalier, quelques bateaux de pêche, beaucoup de crevettes, des live oaks tricentenaires et recouverts de mousse : voilà la Géorgie qu’on aime. On restera une semaine dans ce hameau isolé de tout.
Dehors, c’est la canicule…
Hospitalité géorgienne
– Acheter du poisson ? Moi je n’en ai pas mais demandez à n’importe quel pêcheur, on vous en donnera certainement.
C’est parti… on se dirige vers un groupe de plaisanciers qui lavent leurs prises du jour.
– Hi, do you sell fish ?
– No. But I can give you some. What kind of fish do you like?
– Euh… any kind!
Nous repartons avec une espèce de sole et une petite bonite. Une leçon à ne pas oublier ! Le lendemain, une livre de crevettes finit dans nos assiettes. Ici, la crevette est l’appât vivant habituel pour la pêche (live bait). Nous les préférons avec une bonne mayonnaise…
Dernier mouillage avant la Caroline du Sud : le moteur cale brusquement. Heureusement, Tudor avait acheté un solide couteau à Las Palmas, parfait pour couper le Serrano en fines tranches… et les orins de pêcheurs pris dans l’hélice. Le meilleur couteau du bord !
Savannah River : frontière de la Caroline du Sud.
Après 2 semaines, la Géorgie est derrière nous. Le plus dur ? La chaleur est toujours aussi étouffante. Aux températures officielles annoncées, il faut ajouter le « facteur humidex », un indice d’inconfort dû à l’humidité élevée: un 90°F devient ici un bon 100…En nage, nous entrons dans une station service climatisée. La civilisation ! Un véritable mur de bières glacées me tend les bras. J’en saisis une avec une émotion difficile à contenir. Au moment où je fais sauter la capsule, le couperet tombe : « You are not allowed to drink alcohol here, it’s against the law ! »
Je me retourne et contemple, perplexe, la montagne de bières glacées derrière moi…
A consommer en cachette à la maison, comme des pétards.
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