Le saut sans elastique

Mets-toi sous la douche.
Tourne le robinet.
Le bleu.
En même temps, prends une grosse liasse de billets.
Et déchire-les.
Un par un.
Sous la douche glaciale.
Ca te plaît?
Tu peux l’acheter ton voilier…

(Proverbe anglais – traduction non assermentée…)

Deux jours après, le contrat est signé.

C’est une période indéfinissable, il faut l’avoir vécue pour comprendre. On a beau croire avoir déjà examiné la bateau « sous toutes ses coutures », il nous semble chaque jour différent. On tourne comme un insecte autour de lui, redécouvre ses formes à chaque nouveau regard. La vision de l’architecte, son esprit, n’est pas encore percé. (Il faut dire qu’en terme de « toutes ses coutures », on a visité le bateau 1 fois avant de l’acheter et pas plus de 2 heures et on a tout de suite signé par peur qu’il nous glisse entre les doigts… les bateaux à prix discount partant toujours très vite.)

C’est l’Heure de Grande Solitude. L’heure du grand méchant doute. On essaye désespérément de se remémorer les raisons de l’Achat… peine perdue, tout se brouille, on déambule sur le pont la cervelle vide, écrasé par la hauteur du mât, qu’on ose à peine regarder, et la platitude du compte en banque…

Le pouls incertain, la respiration chaude et courte, le regard du mec sur le pont balaye lentement la surface inégale de ce qui est maintenant SON PROPRE PONT POUR TOUJOURS… Soudain, comme dans un mauvais film, au ralenti, les traces de rouille, la peinture cloquée (qui sauteraient depuis longtemps aux yeux de n’importe quel visiteur lambda) atteignent enfin le cortex de l’acheteur, surpris de les trouver là. Jamais vu avant. Sincèrement. Non, vraiment. Et le teck délavé, et les chandeliers qui branlent… Soudain, un objet familier arrête son regard torve : un winch! Tiens, mon bateau a un winch ! Quel beau winch !! Quel bon bateau…!!
Bref : on se rassure comme on peut.

Mais la cervelle continue à hurler : « Mais qu’est-ce que t’as foutu ? Tu t’es encore fait… ».

La solution, simple, pas chère, c’est la méthode Coué. La pensée positive. L’autosuggestion. L’auto-motivation. Le training autogène de Schultz. L’orientation solution. La visualisation. La suggestologie :

« J’aime mon bateau ». C’est simple : « c’est celui que j’ai acheté, donc c’est le meilleur au monde. » « Ses défauts sont des qualités ».

Pas vraiment d’autre choix…

Pour ma part, hormis le malaise « classique » à la vue de la rouille qui grignote les fonds (je psalmodie l’âge de Pandora en respirant à fond), le coup de cœur ressenti au premier coup d’œil, voilier sur bers, se réitère lorsque je le vois deux jours plus tard pour la première fois dans l’eau. Étonnement, je ne le trouve pas petit. J’exulte même secrètement : sa taille me semble aujourd’hui idéale, je ressens qu’elle est un élément décisif dans la réussite de notre projet. Adieu rêve de grandeur, adieu stress financier… pour naviguer heureux, naviguez petit! Et si la solution était là?
A vrai dire, il semble nous attendre.
étrave

Ses formes, d’abord. Modernes pour un bateau acier. Ni bunker trapu, ni racer effilé, j’aime sa ligne équilibrée, son franc-bord raisonnable, son fardage modéré, gage de sécurité. Son étrave avancée est d’un autre temps : celui où la recherche d’une longueur de flottaison maximale, gage de vitesse, passait après le confort qu’apporte une étrave élancée dans les vagues.

ganz40gSon plan de pont, où toutes les manœuvres reviennent au cockpit. Ses larges passavants, gage de sécurité. Sa jupe courte, qui participe à la silhouette. Son martyr en inox qui court le long du bordé, pour les accostages scabreux.

quillePourquoi un dériveur lesté ? L’explication est à chercher dans le nom même du bateau. Je voulais absolument un voilier pouvant nous offrir le faible tirant d’eau de Pandora, et que celui-ci soit variable, comme sur Unimak…. histoire de pouvoir remonter facilement fleuves et rivières. Histoire de s’échouer, également, volontairement ou pas…

biquilleA la différence du dériveur intégral (Unimak), qui se pose sur son ventre rond (et raye en passant son antifouling à $490/litre, NDLR : prix au kilo du caviar iranien), le DL se pose comme une fleur sur la semelle sérieusement échantillonnée de sa demi-quille, dans laquelle une dérive pivotante « rentre » à l’échouage. Traditionnellement, il faut alors installer des « béquilles », de part et d’autre du bateau, pour qu’il tienne en équilibre…

Théoriquement, pas besoin de béquilles avec Pandorak : ses deux safrans courts et trapus lui assurent les deux pieds qui lui manquaient pour être solidement ancré sur le fond. La faible surface en contact avec le fond le rend également plus facile à « décoller » (Pando et Unimak s’échouaient sur leur « ventre », façon baleine dépressive)

Un vrai voilier qui se pose facilement sur la plage, avec 95cm de TE dérive relevée… mon rêve.

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A propos des deux safrans… malgré la difficulté de la manœuvre au moteur inhérent à ce type de configuration (le flux de l’hélice se perd entre les deux safrans… adieu flux on t’aimait bien), la sécurité éprouvée sur Unimak, surfant sous pilote par force 11 (rafales à 60 nœuds, côte est de Gran Canaria) sans départ au lof intempestif, ou autres zigzags scabreux du cul m’avait définitivement convaincu des avantages d’avoir deux safrans : le safran ne peut pas « décrocher » et on en a toujours un en rab en cas de pépin! Je voulais un bi-safran pour pouvoir soulager le pilote auto dans le gros temps et utiliser celui-ci au maximum : en un mot, barrer le moins possible…
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Pandorak est un « Vita 30 » du célèbre architecte néerlandais Van de Stadt.
po30La polaire des vitesses (maximales) me laisse songeur : vitesse de 3 noeuds réels à 90° du vent par force 2 et 8 réels à 130 ° du vent par force 6. Pur un bateau de voyage en acier de cette taille, il semble véloce l’animal, capable de moyennes honorables par petit temps : pour mémoire, en dessous de 7 noeuds de vent sur Unimak, on appelait Volvo… Sur le papier, Pandorak pourrait, lui, avancer à 5,5 noeuds au travers… bon, à vérifier, il fait quand même près de 5 tonnes…!

stab30Côté sécurité, la courbe de stabilité me rassure définitivement sur les qualité du voilier, avec un point de chavirement très éloigné (la courbe devient négative à partir de 146°, pour Unimak c’était 135). De plus, la surface de la courbe en stabilité négative est très petite, ce qui signifie qu’il ne faudrait pas beaucoup de force pour que le voilier se redresse ; bon on se calme, j’espère jamais le faire giter à ces angles là…

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Finalement, j’aurai pu appeler ce voilier « Unira » (Unimak/Pandora), parce que je voulais vraiment qu’il unisse les avantages des deux bateaux, pour ne pas avoir à choisir entre MER ou FLEUVE… Mais je préfère 2/3 de Pandora, pour le voyage qu’il nous a offert, et 1/3 d’Unimak… A bon entendeur !

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